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CJCE, 11 juin 2009, affaire C-327/08, Commission / France

CJCE, 11 juin 2009, affaire C-327/08, Commission / France

 

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 juin 2009 (*)

 

Dans l’affaire C‑327/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 17 juillet 2008,

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. D. Kukovec et G. Rozet, puis par ce dernier et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République française, représentée par MM. G. de Bergues et J.‑C. Gracia, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), J. Klučka, Mme P. Lindh et M. A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1   Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

- en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 44-I du décret n° 2005‑1308, du 20 octobre 2005, relatif aux marchés passés par les entités adjudicatrices mentionnées à l’article 4 de l’ordonnance n° 2005‑649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics (JORF du 22 octobre 2005, p. 16752), l’article 46-I du décret n° 2005‑1742, du 30 décembre 2005, fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l’article 3 de l’ordonnance n° 2005‑649 (JORF du 31 décembre 2005, p. 20782), et l’article 80‑I‑1° du décret n° 2006-975, du 1er août 2006, portant code des marchés publics (JORF du 4 août 2006, p. 11627, ci-après le «code des marchés publics»), dans la mesure où ces dispositions prévoient la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs et/ou entités adjudicatrices de réduire le délai raisonnable à respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux soumissionnaires et la signature du marché sans aucune limite de temps et sans aucune condition objective fixée préalablement par la réglementation nationale, et

- en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 1441‑1 du nouveau code de procédure civile, tel que modifié par le décret n° 2005‑1308, dans la mesure où cette disposition prévoit un délai de dix jours pour la réponse du pouvoir adjudicateur et/ou de l’entité adjudicatrice concernés interdisant tout référé précontractuel avant ladite réponse et sans que ce délai suspende le délai à respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux soumissionnaires et la signature du marché,

la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992 (JO L 209, p. 1, ci-après la «directive 89/665»), et 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO L 76, p. 14), telles qu’interprétées par la Cour dans ses arrêts du 28 octobre 1999, Alcatel Austria e.a. (C‑81/98, Rec. p. I‑7671), et du 24 juin 2004, Commission/Autriche (C‑212/02), et plus particulièrement en vertu des articles 2, paragraphe 1, de la directive 89/665 et 2, paragraphe 1, de la directive 92/13.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2   L’article 1er de la directive 89/665 prévoit:

«1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE et 92/50/CEE […], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[…]

3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou [risquant] d’être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours.»

3   L’article 2, paragraphe 1, de la même directive dispose:

«Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant:

a)  de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l’exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;

[...]»

4   L’article 1er de la directive 92/13 est libellé comme suit:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les entités adjudicatrices peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2 paragraphe 8, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de passation des marchés ou les règles nationales transposant ce droit en ce qui concerne:

a)  les procédures de passation des marchés relevant de la directive 90/531/CEE

et

b)  le respect de l’article 3 paragraphe 2 point a) de ladite directive, dans le cas des entités adjudicatrices auxquelles cette disposition s’applique.

[…]

3. Les États membres veillent à ce que les procédures de recours soient accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite l’application d’une telle procédure ait préalablement informé l’entité adjudicatrice de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours.»

5   L’article 2, paragraphe 1, de la même directive dispose:

«Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant:

soit

a)  de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher que d’autres préjudices soient causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché en cause ou l’exécution de toute décision prise par l’entité adjudicatrice

[…]

soit

c)  de prendre, dans les délais les plus brefs, si possible par voie de référé et, si nécessaire, par une procédure définitive quant au fond, d’autres mesures que celles prévues aux points a) et b), ayant pour but de corriger la violation constatée et d’empêcher que des préjudices soient causés aux intérêts concernés; notamment d’émettre un ordre de paiement d’une somme déterminée dans le cas où l’infraction n’est pas corrigée ou évitée.

[…]»

-   Les troisième, quatrième et huitième considérants de la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, modifiant les directives 89/665 et 92/13 (JO L 335, p. 31), précisent:

«(3)  Les consultations des parties concernées ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice ont révélé un certain nombre de faiblesses dans les mécanismes de recours existant dans les États membres. En raison de ces faiblesses, les mécanismes visés par les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE ne permettent pas toujours de veiller au respect des dispositions communautaires, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées. Ainsi, il conviendrait de renforcer les garanties de transparence et de non-discrimination que ces directives cherchent à assurer afin que la Communauté dans son ensemble puisse bénéficier pleinement des effets positifs de la modernisation et de la simplification des règles relatives à la passation des marchés publics auxquelles ont abouti les directives 2004/18/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114)] et 2004/17/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO L 134, p. 1)]. Il convient donc d’apporter aux directives 89/665/CEE et 92/13/CEE les précisions indispensables pour atteindre les résultats recherchés par le législateur communautaire.

(4)  Parmi les faiblesses relevées figure notamment l’absence, entre la décision d’attribution d’un marché et la conclusion dudit marché, d’un délai permettant un recours efficace. Cela conduit parfois les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices désireux de rendre irréversibles les conséquences de la décision d’attribution contestée à précipiter la signature du contrat. Afin de remédier à cette faiblesse, qui compromet gravement la protection juridictionnelle effective des soumissionnaires concernés, c’est-à-dire les soumissionnaires qui n’ont pas encore été définitivement exclus, il y a lieu de prévoir un délai de suspension minimal, pendant lequel la conclusion du contrat concerné est suspendue, que celle-ci intervienne ou non au moment de la signature du contrat.

[…]

(8)  De tels délais de suspension minimaux n’ont pas vocation à s’appliquer si la directive 2004/18/CE ou la directive 2004/17/CE n’impose pas la publication préalable d’un avis de marché au Journal officiel de l’Union européenne, plus particulièrement dans les cas d’urgence impérieuse visés à l’article 31, paragraphe 1, point c), de la directive 2004/18/CE ou à l’article 40, paragraphe 3, point d), de la directive 2004/17/CE. Dans de tels cas, il suffit de prévoir des procédures de recours efficaces après la conclusion du contrat. De même, un délai de suspension n’est pas nécessaire si le seul soumissionnaire concerné est celui auquel le marché est attribué et en l’absence de candidats concernés. Dans ce cas de figure, il n’y a plus d’autre partie prenante à la procédure de passation de marché qui aurait intérêt à recevoir la notification et à bénéficier d’un délai de suspension lui permettant d’exercer un recours efficace.»

7   L’article 1er de la directive 2007/66 remplace les articles 1er et 2 de la directive 89/665 par le texte suivant:

«Article premier

[…]

4. Les États membres peuvent exiger que la personne qui souhaite faire usage d’une procédure de recours ait informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours, pour autant que cela n’ait pas d’incidence sur le délai de suspension visé à l’article 2 bis, paragraphe 2, ou sur tout autre délai d’introduction d’un recours visé à l’article 2 quater.

5. Les États membres peuvent exiger que la personne concernée introduise en premier lieu un recours auprès du pouvoir adjudicateur. Dans ce cas, les États membres veillent à ce que l’introduction dudit recours entraîne la suspension immédiate de la possibilité de conclure le marché.

Les États membres décident des moyens de communication adéquats, y compris les télécopieurs ou les moyens électroniques, qu’il convient d’utiliser pour introduire un recours conformément au premier alinéa.

La suspension visée au premier alinéa ne prend pas fin avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour où le pouvoir adjudicateur a envoyé une réponse si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé, ou, si un autre moyen de communication est utilisé, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours calendaires à compter du lendemain du jour où le pouvoir adjudicateur a envoyé une réponse, ou d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour de réception d’une réponse.

[…]

Article 2 bis

[…]

2. La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application de la directive 2004/18/CE ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours calendaires à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés, ou d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour de réception de la décision d’attribution du marché.

[…]»

8   L’article 2 de la directive 2007/66 apporte au texte de la directive 92/13 des modifications analogues à celles mentionnées au point précédent.

9   En vertu de son article 4, la directive 2007/66 est entrée en vigueur le 9 janvier 2008. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, les États membres doivent mettre en vigueur les dispositions législatives, administratives et réglementaires nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 20 décembre 2009.

 La réglementation nationale

10   L’article 44-I du décret n° 2005‑1308 prévoit:

«Pour les marchés et accords-cadres passés selon une des procédures formalisées, l’entité adjudicatrice avise, dès qu’elle a fait son choix sur les candidatures ou sur les offres, tous les autres candidats du rejet de leurs candidatures ou de leurs offres, en indiquant succinctement les motifs de ce rejet.

Un délai d’au moins dix jours est respecté entre la date à laquelle la décision de rejet est notifiée aux candidats dont l’offre n’a pas été retenue et la date de signature du marché ou de l’accord-cadre.

En cas d’urgence ne permettant pas de respecter ce délai de dix jours, ce délai est réduit dans des proportions adaptées à la situation.»

11   L’article 46-I du décret n° 2005‑1742 dispose:

«Pour les marchés et accords-cadres passés selon une des procédures formalisées, le pouvoir adjudicateur avise, dès qu’il a fait son choix sur les candidatures ou sur les offres, tous les autres candidats du rejet de leurs candidatures ou de leurs offres, en indiquant succinctement les motifs de ce rejet.

Un délai d’au moins dix jours est respecté entre la date à laquelle la décision de rejet est notifiée aux candidats dont l’offre n’a pas été retenue et la date de signature du marché ou de l’accord-cadre.

En cas d’urgence ne permettant pas de respecter ce délai de dix jours, ce délai est réduit dans des proportions adaptées à la situation.»

12   L’article 80-I-1° du code des marchés publics est libellé comme suit:

«Pour les marchés et accords-cadres passés selon une des procédures formalisées, le pouvoir adjudicateur avise, dès qu’il a fait son choix sur les candidatures ou sur les offres, tous les autres candidats du rejet de leurs candidatures ou de leurs offres, en indiquant les motifs de ce rejet.

Un délai d’au moins dix jours est respecté entre la date à laquelle la décision de rejet est notifiée aux candidats dont l’offre n’a pas été retenue et la date de signature du marché ou de l’accord-cadre.

En cas d’urgence ne permettant pas de respecter ce délai de dix jours, il est réduit dans des proportions adaptées à la situation.»

13   L’article 1441‑1 du nouveau code de procédure civile, tel que modifié par l’article 48‑1° du décret n° 2005‑1308 (ci-après l’«article 1441-1 du code de procédure civile»), dispose:

«Toute personne habilitée à introduire un recours dans les conditions prévues au 1° de l’article 24 et au 1° de l’article 33 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par les personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics doit, si elle entend engager une telle action, mettre préalablement en demeure, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la personne morale tenue aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation du contrat de s’y conformer.

En cas de refus ou d’absence de réponse dans un délai de dix jours, l’auteur de la mise en demeure peut saisir le président de la juridiction compétente ou son délégué, qui statue dans un délai de vingt jours.»

 La procédure précontentieuse

14   Le 21 mars 2005, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République française par laquelle elle attirait l’attention de cette dernière sur le problème de la conformité avec le droit communautaire de certaines dispositions de la réglementation nationale relative à la protection juridictionnelle des soumissionnaires en matière de passation de marchés publics. Le 15 décembre 2006, la Commission a adressé au même État membre une lettre de mise en demeure complémentaire. Les autorités françaises ont répondu à celle-ci par lettre du 8 mars 2007.

15   N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a, le 1er février 2008, émis un avis motivé invitant la République française à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

16   La République française a répondu à cet avis motivé par lettre du 29 avril 2008. N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

17   Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, la République française invoque des arguments qui laissent entendre que le présent recours serait dépourvu d’objet. Il convient d’examiner cette question en premier lieu.

 Sur la question de savoir si le recours est dépourvu d’objet

 Argumentation des parties

18   La République française relève que la directive 2007/66 a créé pour les États membres de nouvelles obligations en matière de suspension de la conclusion du marché et de recours précontractuels visant précisément à régler les situations qui font l’objet du présent recours. Dès lors, la transposition de cette directive dans l’ordre juridique français aurait pour effet de rendre ce recours sans objet.

19   Ledit État membre indique que la procédure de transposition de la directive 2007/66 en droit français est en cours. Le nouveau régime des recours instauré par cette directive serait complexe et nécessiterait une approche globale, comprenant également les matières faisant l’objet du présent recours.

20   La Commission soutient que la transposition de la directive 2007/66 est dépourvue de pertinence au regard du présent recours. Elle fait valoir que le délai imparti dans l’avis motivé pour mettre la réglementation nationale en conformité avec les directives 89/665 et 92/13 a expiré le 1er avril 2008 et que cette réglementation, qui met en cause l’effet utile de ces directives, demeurera en vigueur jusqu’à l’adoption des mesures nécessaires à la transposition de la directive 2007/66, à savoir jusqu’au 20 décembre 2009 au plus tard.

 Appréciation de la Cour

21   La République française suggère que la mise en œuvre imminente de la directive 2007/66 prive d’objet le présent recours qui reproche à cet État membre de ne pas avoir transposé dans son ordre juridique les directives 89/665 et 92/13.

22   Selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre en cause telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé (voir, notamment, arrêt du 21 février 2008, Commission/Italie, C‑412/04, Rec. p. I‑619, point 42 et jurisprudence citée).

23   À cet égard, il est constant que, à la date à laquelle le délai fixé dans l’avis motivé est venu à expiration, les directives 89/665 et 92/13 ainsi que la législation française y afférente trouvaient encore à s’appliquer et, partant, un recours fondé sur le défaut de transposition de ces directives n’était pas dépourvu d’objet.

24   La République française laisse en outre entendre que le présent recours n’a aucune utilité pratique dans la mesure où, même si les griefs soulevés par la Commission étaient retenus par la Cour, les mesures d’exécution conséquentes ne pourraient être prises que dans le cadre global de la mise en œuvre de la directive 2007/66.

25   Ces considérations concernent l’opportunité de l’introduction du présent recours.

26   Selon une jurisprudence constante de la Cour, c’est à la Commission qu’il incombe d’apprécier l’opportunité d’agir contre un État membre, les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité du recours (arrêt du 8 décembre 2005, Commission/Luxembourg, C‑33/04, Rec. p. I‑10629, point 66 et jurisprudence citée).

27   Par conséquent, il convient d’examiner le recours de la Commission au fond.

 Sur le premier grief

 Argumentation des parties

28   Le troisième alinéa des articles 44‑I du décret n° 2005‑1308, 46‑I du décret n° 2005-1742 et 80-I-1° du code des marchés publics (ci-après les «dispositions litigieuses») prévoient en des termes identiques que, «[e]n cas d’urgence ne permettant pas de respecter ce délai de dix jours, ce délai est réduit dans des proportions adaptées à la situation».

29   La Commission fait valoir que la notion d’urgence mentionnée dans les dispositions litigieuses n’est pas définie, mais est au contraire laissée à l’appréciation discrétionnaire du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice sans qu’aucune condition objective soit requise. S’il semble résulter du libellé de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne saurait aller jusqu’à supprimer purement et simplement le délai en question, rien ne semblerait en revanche interdire de réduire celui-ci à une durée minimale.

30   La Commission soutient en outre qu’il n’existe aucune garantie réglementaire que le nombre de jours de réduction dudit délai sera porté à la connaissance des soumissionnaires, ces derniers pouvant ne pas être informés de la durée exacte de ce délai.

31   Selon la Commission, les dispositions litigieuses introduisent un important degré d’insécurité juridique pour les soumissionnaires et compromettent l’objectif des directives 89/665 et 92/13 qui est, comme cela ressort du point 38 de l’arrêt Alcatel Austria e.a., précité, de mettre en place des recours efficaces et rapides ayant pour objet les décisions illégales du pouvoir adjudicateur à un stade où les violations peuvent encore être corrigées.

32   Pour la Commission, le délai de dix jours à respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux soumissionnaires et la signature du marché est un délai minimal pour l’introduction d’un recours utile, raison pour laquelle il n’est envisageable de raccourcir ce délai que dans des circonstances objectives exceptionnelles.

33   La République française argue que les dispositions litigieuses encadrent strictement les possibilités de réduction du délai à respecter entre la notification des soumissionnaires et la signature du marché. Dès lors que ces dispositions prévoient que le délai en question ne peut être réduit que dans des proportions adaptées à la situation, cette réduction ne serait pas laissée à l’entière discrétion des pouvoirs adjudicateurs, ces derniers pouvant être appelés à justifier, devant le juge, du caractère raisonnable de la réduction.

34   Selon ledit État membre, les dispositions litigieuses sont conformes aux exigences des arrêts précités Alcatel Austria e.a. ainsi que Commission/Autriche. Étant donné que ces dispositions ne permettent la réduction dudit délai que dans des proportions adaptées à la situation, cette réduction serait raisonnable au sens de ces arrêts.

35   La République française considère que la conformité au droit communautaire des dispositions litigieuses est confirmée a contrario par les dispositions de la directive 2007/66. En effet, les directives 89/665 et 92/13 ne contiendraient aucune disposition relative à la durée du délai à respecter par le pouvoir adjudicateur entre la notification des soumissionnaires et la signature du contrat, le délai minimal obligatoire de dix jours n’ayant été institué que par la directive 2007/66. Dès lors, les pouvoirs adjudicateurs ne seraient soumis, jusqu’à l’expiration du délai accordé aux États membres pour la transposition de cette dernière directive, qu’à la règle posée par la Cour dans les arrêts précités Alcatel Austria e.a. ainsi que Commission/Autriche.

 Appréciation de la Cour

36   Il convient de relever d’emblée qu’aucune disposition des directives 89/665 ou 92/13 ne précise un délai que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice seraient tenus de respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux candidats et soumissionnaires évincés et la conclusion du contrat relatif à ce marché.

37   La précision d’un tel délai a été introduite pour la première fois par la directive 2007/66, dans le but exprès de remédier à l’absence de disposition à cet égard dans les directives 89/665 et 92/13, comme cela ressort du quatrième considérant de la directive 2007/66.

38   Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme la Commission, l’existence d’un délai minimal de dix jours à respecter entre la notification des candidats et soumissionnaires et la conclusion du marché ne peut pas être déduite des termes des directives 89/665 et 92/13.

39   Les directives 89/665 et 92/13 n’interdisent pas explicitement que le délai à respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux candidats et soumissionnaires évincés et la signature du contrat soit réduit en cas d’urgence. Il ne découle pas non plus du système et de l’objectif des directives 89/665 et 92/13 que celles-ci interdisent par principe toute réduction dudit délai en cas d’urgence.

40   Cette conclusion est confirmée par le fait que la directive 2007/66 ne prévoit pas de délai de suspension minimal dans les cas d’urgence impérieuse visés aux articles 31, point 1, sous c), de la directive 2004/18 et 40, paragraphe 3, sous d), de la directive 2004/17, comme cela est précisé au huitième considérant de la directive 2007/66.

41   En tenant compte de l’effet utile des directives 89/665 et 92/13, la Cour a précisé qu’un délai raisonnable doit s’écouler entre le moment où la décision d’attribution du marché est notifiée aux soumissionnaires évincés et la conclusion du contrat, afin de permettre à ces derniers, notamment, d’introduire une demande de mesures provisoires jusqu’à ladite conclusion (arrêts Commission/Autriche, précité, point 23, et du 3 avril 2008, Commission/Espagne, C‑444/06, Rec. p. I-2045, point 39).

42   Selon les termes des dispositions litigieuses, le délai de suspension visé par celles-ci ne peut être réduit, en cas d’urgence, que «dans des proportions adaptées à la situation».

43   Il ressort de cette formulation que l’éventuelle réduction dudit délai doit être conforme au principe de proportionnalité et doit pouvoir être justifiée au regard de la situation à laquelle font face le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice. Ceux-ci sont donc tenus d’adapter la réduction du délai à l’intensité de l’urgence à laquelle ils sont confrontés.

44   Les dispositions litigieuses prévoient, en substance, que, en effectuant une réduction du délai de recours en cas d’urgence, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice doivent néanmoins laisser un délai raisonnable aux opérateurs évincés pour leur permettre de présenter un recours.

45   Dans ces conditions, la Commission n’a pas démontré que les dispositions litigieuses portent atteinte aux exigences des directives 89/665 et 92/13.

46   Dès lors, il y a lieu de rejeter le premier grief de la Commission.

 Sur le second grief

 Argumentation des parties

47   La Commission fait valoir que l’article 1441‑1 du code de procédure civile, dans la mesure où il instaure une phase préalable de mise en demeure obligatoire et non suspensive du délai à respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux candidats et soumissionnaires évincés et la signature du marché, revient à priver ce délai de tout effet utile.

48   Le délai de dix jours prévu audit article 1441-1 pour répondre à la mise en demeure ne serait pas conforme aux directives 89/665 et 92/13, dans la mesure où il interdit tout référé précontractuel avant cette réponse et court en même temps que le délai de suspension de la signature du marché, qui est, lui aussi, de dix jours. Il en résulterait l’impossibilité pour les candidats et soumissionnaires évincés de faire usage du référé précontractuel dans les cas où la réponse ou l’absence de réponse ne serait connue qu’à la date de l’expiration de ce délai de dix jours et où le contrat serait signé à cette date.

49   La République française rappelle que les articles 1er, paragraphe 3, des directives 89/665 et 92/13 permettent aux États membres d’exiger qu’une personne qui souhaite introduire un recours informe préalablement le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours. En revanche, ces dispositions ne prévoiraient pas qu’une telle information préalable doit avoir un effet suspensif.

50   La jurisprudence de la Cour n’imposerait pas non plus un tel effet suspensif. Les arrêts précités Alcatel Austria e.a. ainsi que Commission/Autriche seraient sans pertinence au regard du présent grief puisqu’ils ne concerneraient pas l’obligation pour les États membres de prévoir le caractère suspensif des recours gracieux adressés aux pouvoirs adjudicateurs ou aux entités adjudicatrices.

51   Ledit État membre soutient également que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices sont tenus par les dispositions nationales de respecter le droit des candidats et soumissionnaires évincés d’exercer un recours sous la forme du référé précontractuel. Toute tentative pour priver les opérateurs économiques de leur droit au recours pourrait donner lieu à la censure du juge, bien que le contrôle de celui-ci n’intervienne qu’après la conclusion du contrat.

 Appréciation de la Cour

52   Les articles 1er, paragraphe 3, des directives 89/665 et 92/13 autorisent les États membres à exiger qu’une personne souhaitant introduire un recours contre un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice informe préalablement ceux-ci de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours, sans prévoir qu’une telle démarche a un effet suspensif.

53   Il n’est pas contesté que l’article 1441‑1 du code de procédure civile est conforme auxdites dispositions dans la mesure où il prévoit que le candidat ou soumissionnaire auquel a été notifié le rejet de sa candidature ou de son offre doit, s’il entend introduire un référé précontractuel, préalablement mettre en demeure le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice.

54   La Commission critique l’article 1441-1 du code de procédure civile dans la mesure seulement où il assortit cette mise en demeure obligatoire d’un délai de réponse de dix jours pendant lequel le délai, également fixé à dix jours, que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice sont tenus de respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux candidats et soumissionnaires évincés et la conclusion du contrat n’est pas suspendu. Selon la Commission, cette réglementation a pour effet de priver ce dernier délai de son effet utile.

55   Il convient de constater que, tout en prévoyant un délai de dix jours pour répondre à une mise en demeure, l’article 1441‑1 du code de procédure civile exclut tout référé précontractuel avant que n’intervienne la réponse à cette mise en demeure et que ce délai court en même temps que le délai de suspension de la signature du contrat prévu par la législation française, délai qui est lui aussi de dix jours. Il en résulte l’impossibilité pour les candidats et soumissionnaires évincés d’introduire un référé précontractuel dans les cas où, d’une part, la réponse à la mise en demeure n’est donnée qu’après l’expiration dudit délai de dix jours et où, d’autre part, le contrat a été signé entre-temps.

56   Ainsi qu’il résulte du point 41 du présent arrêt, il découle des directives 89/665 et 92/13 qu’un délai raisonnable doit s’écouler entre le moment où la décision d’attribution du marché est notifiée aux candidats et soumissionnaires évincés et la conclusion du contrat, afin de permettre à ces derniers d’introduire une demande de mesures provisoires avant la conclusion du contrat.

57   Or, l’article 1441-1 du code de procédure civile n’est pas compatible avec les directives 89/665 et 92/13 ainsi interprétées, dans la mesure où il peut avoir pour effet, dans certaines circonstances, de ne laisser, entre la notification de ladite décision aux candidats et soumissionnaires évincés et la conclusion du contrat, aucun délai permettant à ceux-ci d’introduire un recours juridictionnel.

58   Contrairement à ce que fait valoir la République française, la possibilité de présenter une demande de référé précontractuel n’est pas suffisamment garantie par l’existence d’un contrôle juridictionnel a posteriori. L’effet utile des directives 89/665 et 92/13 est mis en cause dès lors que le seul recours possible est celui devant les juges du fond. En effet, dans le cas où le contrat a déjà été signé, le fait que le seul contrôle juridictionnel prévu soit un contrôle a posteriori revient à exclure la possibilité d’introduire un recours à un stade où les violations peuvent encore être corrigées, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir arrêt Alcatel Austria e.a., précité, point 38).

59   Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que le second grief est fondé.

60   Par conséquent, il convient de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 1441‑1 du code de procédure civile, dans la mesure où cette disposition prévoit, pour la réponse du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice à une mise en demeure, un délai de dix jours excluant tout référé précontractuel avant ladite réponse et sans que ce délai suspende le délai à respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux candidats et soumissionnaires évincés et la signature du contrat, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives 89/665 et 92/13.

 Sur les dépens

61   En vertu de l’article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission et la République française ayant chacune succombé en l’un des griefs faisant l’objet du présent recours, il convient de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)  En adoptant et en maintenant en vigueur l’article 1441‑1 du nouveau code de procédure civile, tel que modifié par l’article 48‑1° du décret n° 2005‑1308, du 20 octobre 2005, relatif aux marchés passés par les entités adjudicatrices mentionnées à l’article 4 de l’ordonnance n° 2005‑649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, dans la mesure où cette disposition prévoit, pour la réponse du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice à une mise en demeure, un délai de dix jours excluant tout référé précontractuel avant ladite réponse et sans que ce délai suspende le délai à respecter entre la notification de la décision d’attribution du marché aux candidats et soumissionnaires évincés et la signature du contrat, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, et 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications.

2)  Le recours est rejeté pour le surplus.

3)  La Commission des Communautés européennes et la République française supportent chacune leurs propres dépens.

Source : http://curia.europa.eu/