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2501824 - Un critère peut-il vérifier la seule conformité technique

TA Dijon, 11 juillet 2025, n° 2501824, Sté Cartel - Un critère peut-il vérifier la seule conformité technique ?

Dans une décision qui distingue entre éléments d'appréciation et obligations contractuelles, le tribunal annule l'intégralité d'une procédure lancée par le département de Saône-et-Loire pour des solutions logicielles de bornes tactiles. Le critère "fonctionnalités", pondéré à 65%, était évalué via 26 questions reproduisant exactement les exigences du cahier des charges. Cette correspondance parfaite entre éléments d'appréciation et obligations contractuelles empêchait toute différenciation des offres, tous les candidats réguliers obtenant les mêmes notes. Le tribunal considère que cette confusion entre vérification de conformité et évaluation comparative a privé le critère principal de sa portée, justifiant l'annulation totale plutôt qu'une simple reprise au stade de l'analyse. L'application des critères doit permettre de choisir l'offre économiquement la plus avantageuse.

https://opendata.justice-administrative.fr/recherche/shareFile/TA21/ORTA_2501824_20250711 

Le département de Saône-et-Loire avait lancé un appel d'offres pour un accord-cadre de solutions logicielles pour bornes tactiles. Le jugement reposait sur deux critères : "fonctionnalités" (65%) et prix (35%). Le critère "fonctionnalités" était apprécié au travers d'un questionnaire de 26 questions correspondant exactement aux exigences du cahier des charges.

La société Cartel, évincée au profit de la société Mobile Développement, a contesté cette procédure en invoquant l'ineffectivité du critère principal. Le tribunal administratif lui a donné raison en annulant l'intégralité de la procédure.

La distinction entre éléments d'appréciation et conformité technique

La décision illustre une confusion fréquente entre l'appréciation de la conformité d'une offre et l'évaluation de sa valeur technique. Aux termes des articles L2152-1 et L2152-2 du code de la commande publique, l'acheteur doit d'abord vérifier la conformité des offres, puis les classer selon ses critères d'attribution.

Le tribunal constate que "les 26 questions posées, qui doivent être regardées comme constituant les éléments d'appréciation de chacun des sous-critères, correspondent exactement aux exigences techniques figurant au CCTP". Cette correspondance parfaite révèle que l'acheteur a confondu les deux phases distinctes de l'analyse des offres.

Comme le rappelle la jurisprudence, une méthode d'évaluation est irrégulière si "les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation" ou s'ils sont "de nature à priver de leur portée ces critères".

Rappelons qu'un critère d'adéquation de l'offre au cahier des charges qui fait du respect d'un document contractuel un critère d'appréciation de l'offre ne peut être utilisé sans autres précisions (CAA Bordeaux, 8 novembre 2016, n° 15BX00313, Société Guyanet).

L'ineffectivité du critère principal

Le tribunal observe que "le critère n° 1 n'avait pas pour objet et n'a en tout état de cause pas pu avoir pour effet d'apprécier, de manière différenciée, la valeur technique des différentes offres des candidats dès lors que ces derniers devaient proposer des prestations en tous points conformes aux exigences du CCTP".

En l'espèce, dès lors que les éléments d'appréciation correspondent aux obligations contractuelles, tous les candidats réguliers obtiennent mécaniquement les mêmes notes. Le critère ne différencie plus les offres mais vérifie simplement leur conformité.

Le juge constate que les candidats "avaient tous vocation à obtenir le même nombre de points sur la quasi-intégralité des questions posées dans le questionnaire", sauf marginalement sur le sous-critère "Options" valorisé à seulement 1,3% de la note totale.

L'annulation totale justifiée par la gravité du vice

Face à cette ineffectivité, le tribunal considère que l'acheteur "a ainsi privé de portée ce critère". Cette privation de portée du critère principal, pondéré à 65%, justifie l'annulation de l'intégralité de la procédure.

Le tribunal refuse la demande de reprise au stade de l'analyse des offres, estimant que "le manquement qui a été relevé justifie, à lui seul, l'annulation de la procédure de consultation dans son ensemble". Lorsque l'architecture même de l'évaluation est viciée sur le critère principal, une refonte complète s'impose.

Le juge précise qu'"il n'appartient pas au juge du référé précontractuel d'ordonner au pouvoir adjudicateur de purger les manquements d'une manière déterminée", rappelant que l'acheteur conserve sa liberté de relancer ou non la procédure.

La portée pour la pratique des marchés publics

Cette décision rappelle qu'un critère technique valable doit porter sur des éléments dépassant la simple conformité : qualité des moyens, performance supérieure aux seuils, innovation, ou pertinence méthodologique. Les éléments d'appréciation ne peuvent se borner à reprendre les obligations du cahier des charges.

La jurisprudence invite les acheteurs à la vigilance dans l'utilisation de questionnaires techniques. Ces outils doivent révéler la valeur ajoutée de chaque offre, non vérifier le respect des spécifications contractuelles.

Leçons à en tirer

Cette décision rappelle que les éléments d'appréciation d'un critère doivent permettre de révéler des écarts de qualité entre les offres. Lorsqu'ils correspondent exactement aux obligations contractuelles, ils ne différencient plus mais vérifient simplement la conformité, vidant le critère de sa substance.

Ne pas confondre conformité et évaluation. Le tribunal établit que l'acheteur ne doit pas utiliser la vérification de conformité comme base d'évaluation comparative. Cette confusion transforme l'attribution en simple contrôle de régularité. Les éléments d'appréciation doivent porter sur des aspects dépassant les obligations minimales de manière à permettre la différenciation.

La rigeur de la sanction dépend de la pondération L'annulation totale se justifie ici par le poids prépondérant du critère en cause (65%). Plus un critère ineffectif est pondéré, plus la gravité du vice s'accroît, pouvant conduire à ce que "l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie".

[…]

9. Le " questionnaire du candidat " auquel les candidats devaient répondre et sur lequel était apprécié les quatre sous-critères du critère n° 1 " fonctionnalités " comportait 26 questions.

10. Les onze questions permettant d'apprécier le sous-critère " prestations attendues " sont les suivantes : " 1. Quel fond de carte pouvez-vous ajouter dans une application ' Open street map souhaité " ; [...]

11. Les six questions permettant d'apprécier le sous-critère " Route71 et Décibelles data " sont les suivantes : " 12. Avez-vous déjà utilisé le flux Décibelles Data via l'API ' Si oui, précisez les clients " ; [...]

12. Les deux questions permettant d'apprécier le sous-critère " Options " sont les suivantes : " 18. Carte postale numérique : l'utilisateur peut-il envoyer une carte postale numérique depuis la borne en scannant un QR code ' " ; " 19. Carnet de voyage : l'utilisateur peut-il sélectionner des POI sur la borne et en scannant un QR code, il pourra ensuite les partager via sa boite mail ' ".

13. Les sept questions permettant d'apprécier le sous-critère " Back-office " sont les suivantes : " 20. Tout le contenu de la borne est-il administrable directement via le back-office par l'administrateur des bornes (pages éditoriales, écran de veille, messages d'urgences) ' " ; " [...].

14. La partie du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de l'accord-cadre consacré au lot n 1, figurant aux pages 13 à 20 de ce CCTP, prévoit que " Les fonctionnalités exigées et souhaitées sont précisées dans le questionnaire fonctionnel joint en annexe du présent CCTP et complètent les fonctionnalités présentées ci-dessous ". [...].

15. D'une part, il résulte de l'analyse des différents items du " questionnaire " -énumérés aux points 10 à 13- et des fonctionnalités qui étaient exigées des candidats -rappelées au point 14- que, pour l'essentiel, les 26 questions posées, qui doivent être regardées comme constituant les éléments d'appréciation de chacun des sous-critères, correspondent exactement aux exigences techniques figurant au CCTP. D'autre part, ces exigences fonctionnelles étaient, en tant que de besoin, complétées et précisées dans un document intitulé " questionnaire fonctionnel ", annexé au CCTP, qui avait ainsi non seulement vocation à être contractualisé mais qui était aussi, en réalité, le même " questionnaire " sur le fondement duquel l'appréciation du critère n° 1 était faite pour tous les candidats.

16. Il résulte de ce qui a été dit au point 15 mais aussi de l'analyse du document " arguments-notations " et des offres remises par la société Cartel et la société Mobile développement -communiqués de manière confidentielle par le département- que le critère n° 1 n'avait pas pour objet et n'a en tout état de cause pas pu avoir pour effet d'apprécier, de manière différenciée, la valeur technique des différentes offres des candidats dès lors que ces derniers devaient proposer des prestations en tous points conformes aux exigences du CCTP et du " questionnaire fonctionnel " qui y était annexé et avaient tous vocation à obtenir le même nombre de points sur la quasi-intégralité des questions posées dans le questionnaire -à l'exception, peut-être, du sous-critère " Options " mais qui n'était valorisé, de manière résiduelle, qu'à hauteur de 1,3 % dans l'appréciation globale de l'offre-.

17. En appréciant la valeur des différentes offres sur le fondement d'un critère n° 1, pondéré à 65 %, qui ne permettait pas, de la manière dont il a été mis en œuvre par les sous-critères et les éléments d'appréciation portés à la connaissance des candidats, de départager la qualité technique des différentes offres, le pouvoir adjudicateur a ainsi privé de portée ce critère. Compte tenu du poids prépondérant de ce critère n° 1 dans le jugement des offres, la mobilisation d'un tel critère a ainsi été en l'espèce susceptible de conduire à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

18. Le manquement qui a été relevé au point 17 justifie, à lui seul, l'annulation de la procédure de consultation dans son ensemble. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler non pas seulement l'attribution du lot n°1 à la société Mobile Développement ou la procédure seulement au stade de l'analyse des offres mais la procédure de passation du lot n° 1 de l'accord-cadre dans son ensemble.

19. Il n'appartient en revanche pas au juge du référé précontractuel d'ordonner au pouvoir adjudicateur de purger les manquements qu'il a constatés d'une manière déterminée dès lors que la collectivité publique conserve toujours la possibilité d'effectuer les prestations en régie ou de renoncer à lancer une nouvelle consultation.

[…]

Jurisprudence

CAA Bordeaux, 8 novembre 2016, n° 15BX00313, Société Guyanet (Dans un marché de nettoyage, la masse salariale du personnel susceptible d’être repris est une caractéristique substantielle qui doit être portée à la connaissance des candidats, même en l’absence de questions de la part des candidats à ce sujet. Un critère "adéquation de l'offre au cahier des charges" qui fait du respect d'un document contractuel un critère d'appréciation de l'offre ne peut être utilisé sans autres précisions. L’absence de conformité d'une offre au CCTP rend l'offre irrégulière et doit entrainer son rejet.).