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Article R2193-11 : les mails sont-ils acceptés pour le paiement direct du sous-traitant ?

CAA Bordeaux, 23 juillet 2025, n° 25BX00714 - Moyens de preuve pour une demande de paiement direct en marché public.

La CAA de Bordeaux rappelle les conditions du paiement direct des sous-traitants dans les marchés publics. Une société, sous-traitante d'une autre qui était en liquidation judiciaire, avait obtenu une provision de 51 251 euros pour des prestations réalisées. Cependant, la CAA annule cette décision, estimant que les courriels adressés au titulaire ne respectent pas les exigences de l’article R2193-11, qui impose une preuve formelle de réception. La jurisprudence du Conseil d’État confirme que le non-respect de cette procédure fait obstacle au paiement direct, même en cas de liquidation judiciaire. Le maître d’ouvrage, Périgord Numérique, est donc fondé à refuser le paiement en l’absence de preuve conforme.

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000052008026

La décision rendue par la CAA de Bordeaux le 23 juillet 2025 concerne un litige opposant le syndicat mixte Périgord Numérique à la société Smartyk Sud-Ouest, sous-traitante de la société Scopelec Aquitaine, titulaire d’un lot dans le cadre d’un accord-cadre de travaux relatifs au déploiement de réseaux publics de type FttX. Le litige porte principalement sur le paiement direct des prestations réalisées par le sous-traitant, alors que le titulaire du marché, Scopelec Aquitaine, est placé en liquidation judiciaire. La question centrale est celle du respect de la procédure de paiement direct prévue par les articles R2193-10 à R2193-16 du code de la commande publique.

La société Smartyk Sud-Ouest, après avoir réalisé des prestations pour un montant total de 173 860,52 euros TTC, a demandé le paiement direct de sa créance au maître d’ouvrage, le syndicat Périgord Numérique. Le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux avait partiellement fait droit à cette demande en condamnant le syndicat à verser une provision de 51 251 euros TTC. Cependant, la CAA de Bordeaux annule cette ordonnance, estimant que la société Smartyk n’a pas respecté les formalités requises pour bénéficier du paiement direct.

Le cadre légal du paiement direct

Le paiement direct des sous-traitants dans les marchés publics est encadré par les articles L2193-11 et suivants du code de la commande publique. Ces dispositions imposent une procédure encadrée :

  • Le sous-traitant doit adresser sa demande de paiement au titulaire du marché (ici, Scopelec Aquitaine) par un moyen permettant d’en assurer la réception et d’en déterminer la date (lettre recommandée avec avis de réception, plateforme de dématérialisation agréée, ou remise en main propre contre récépissé).
  • Le titulaire dispose d’un délai de 15 jours pour notifier son accord ou son refus.
  • En cas de silence, le titulaire est réputé avoir accepté la demande.
  • Le sous-traitant doit ensuite transmettre sa demande au maître d’ouvrage, accompagnée de la preuve de la réception par le titulaire.

En l’espèce, la société Smartyk a adressé ses factures à Scopelec Aquitaine par courriels, sans accusé de réception ni preuve formelle de leur réception. La CAA de Bordeaux considère que ces courriels ne satisfont pas aux exigences de l’article R2193-11, qui impose un formalisme strict pour garantir la sécurité juridique des échanges.

L’absence de respect des formalités

La CAA relève que :

  • Les courriels envoyés par Smartyk ne permettent pas d’attester de leur réception par Scopelec Aquitaine.
  • La demande de paiement adressée directement au syndicat Périgord Numérique n’était pas accompagnée de la preuve requise.
  • Le silence de Scopelec Aquitaine ne peut être interprété comme une acceptation tacite, faute de preuve de réception conforme.

La jurisprudence du Conseil d’État (CE, 19 avril 2017, n° 396174, Département de l’Hérault ; CE, 17 octobre 2023, n° 465913, SIEL Territoire d’énergie Loire) confirme que le non-respect de cette procédure fait obstacle au paiement direct. La CAA s’aligne sur cette position en rappelant que le paiement direct n’est pas automatique et que son octroi est subordonné au respect des formalités.

La liquidation judiciaire du titulaire du marché et incidence

La société Scopelec Aquitaine ayant été placée en liquidation judiciaire, Smartyk a déclaré sa créance auprès du liquidateur. Cependant, la CAA souligne que la liquidation judiciaire du titulaire ne dispense pas le sous-traitant de respecter la procédure de paiement direct. Cette position est conforme à l’article L2193-12 du code de la commande publique, qui prévoit que le paiement direct reste obligatoire même en cas de procédure collective.

Le contrôle du maître d’ouvrage

Le maître d’ouvrage peut contrôler la réalité des prestations et le montant de la créance, mais pas la qualité des travaux (CE, 2 février 2024, n°475639, Société Eiffage Energie Systèmes). En l’espèce, le syndicat Périgord Numérique ne contestait pas la réalité des prestations, mais leur régularité procédurale. La CAA estime que l’absence de preuve formelle de la demande de paiement adressée à Scopelec Aquitaine rend la créance sérieusement contestable, justifiant l’annulation de la provision accordée par le juge des référés.

[...]

3. Aux termes de l'article L. 2193-11 du Code de la commande publique : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution (...) ". L'article L. 2193-12 du même code précise que " Le paiement direct est obligatoire même si le titulaire du marché est en état de liquidation judiciaire, de redressement judiciaire ou de procédure de sauvegarde. " L'article R. 2193-11 de ce code prévoit que : " Le sous-traitant admis au paiement direct adresse sa demande de paiement au titulaire du marché, par tout moyen permettant d'en assurer la réception et d'en déterminer la date, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé. " Enfin, en application des articles R. 2193-12, R. 2193-13 et R. 2193-14, " le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la date de réception ou du récépissé mentionnés à l'article R. 2193-11 pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, à l'acheteur " et " Lorsque le sous-traitant a obtenu la preuve ou le récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande de paiement dans les conditions fixées à l'article R. 2193-11 ou qu'il dispose de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé par le titulaire, le sous-traitant adresse sa demande de paiement à l'acheteur accompagnée de cette preuve, du récépissé ou de l'avis postal. ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. Il appartient ensuite au titulaire du marché de donner son accord à la demande de paiement direct ou de signifier son refus dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Le titulaire du marché est réputé avoir accepté cette demande s'il garde le silence pendant plus de quinze jours à compter de sa réception. A l'issue de cette procédure, le maître d'ouvrage procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé si le titulaire du marché a donné son accord ou s'il est réputé avoir accepté la demande de paiement direct. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d'exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s'opposer, le cas échéant, au paiement direct. Sa méconnaissance par le sous-traitant fait ainsi obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement.

5. Le syndicat mixte Périgord Numérique fait valoir que, par acte d'engagement du 10 novembre 2020, il avait confié à la société Semiper un mandat de maîtrise d'ouvrage. Pour autant, en vertu de ce qui précède, c'est bien à l'entrepreneur principal titulaire du marché, soit à la société Scopelec Aquitaine, que la société Smartyk Sud-Ouest devait adresser ses demandes de paiement direct de ses prestations. A cet égard, les factures qu'elle a adressées à la société Scopelec Aquitaine par courriel des 27 décembre 2022, 2 janvier 2023 et 5 janvier 2023 pour un montant total de 51 251 euros TTC, accompagnées d'un relevé d'identité du compte bancaire sur lequel virer les sommes dues, constituent bien de telles demandes.

6. Toutefois, ainsi que le relève le syndicat mixte, ces simples courriels sans accusé de réception ne peuvent être regardés comme ayant permis d'assurer la réception des demandes de paiement et d'en déterminer la date, pour l'application de l'article R. 2193-11 du code de la commande publique. De même, la demande de paiement adressée le 20 février 2024 au syndicat Périgord Numérique n'était pas accompagnée de la preuve attestant que le titulaire avait bien reçu les demandes de paiement dans les conditions fixées à l'article R. 2193-11. Dans ces conditions, à défaut d'avoir respecté la procédure prévue par les dispositions précitées du code de la commande publique, la société Smartyk Sud-Ouest ne peut se prévaloir sans contestation sérieuse d'un droit au paiement direct auprès du syndicat mixte Périgord Numérique.

7. La société Smartyk Sud-Ouest ne conteste pas que, pour le surplus, ses prestations n'ont pas fait l'objet de facturations et de demandes de paiement direct auprès de la société Scopelec Aquitaine dans les conditions prévues par les dispositions citées au point 3. Dans ces conditions, quand bien même ces prestations étaient indispensables à la bonne exécution du marché et alors même que la créance correspondante a été admise au passif de la société Scopelec Aquitaine par son liquidateur judiciaire, la société Smartyk Sud-Ouest ne détient à cet égard aucune créance non sérieusement contestable sur le syndicat mixte Périgord Numérique.

8. Il résulte de ce qui précède que le syndicat mixte Périgord Numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné à verser à la société Smartyk Sud-Ouest une somme de 51 251 euros à titre d'indemnité provisionnelle. Par ailleurs, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que c'est tort que, par la même ordonnance, le premier juge a rejeté le surplus de sa demande.

[...]

MAJ 29/07/2025 - Source legifrance

Jurisprudence

CAA Marseille, 21 mai 2024, n° 23MA02449 (Le sous-traitant ne peut obtenir le paiement direct de ses prestations lorsque le titulaire s'y est opposé dans le délai de 15 jours, même si cette opposition n'a pas été notifiée au maître d'ouvrage. Précisions sur le régime du paiement direct des sous-traitants. L'opposition du titulaire au paiement direct est valable à l'égard du sous-traitant dès lors qu'elle lui a été notifiée dans le délai de 15 jours, même si le maître d'ouvrage n'en a pas été informé. Par ailleurs, une demande de paiement direct doit être explicitement adressée au maître d'ouvrage ; la simple copie d'une mise en demeure adressée au titulaire ne suffit pas).

CE, 17 octobre 2023, n° 465913 (Paiement direct du sous-traitant : Des biens présentant des spécificités destinées à satisfaire des exigences particulières d'un marché déterminé peuvent-il être regardés, pour l'application des relatives à la sous-traitance, comme de simples fournitures ? Le refus motivé par le titulaire de paiement direct du sous-traitant doit s’effectuer dans les délais). 

CE, 19 avril 2017, n° 396174, Département de l'Hérault (Le sous-traitant a droit au paiement direct mais il doit adresser sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal. La méconnaissance de la procédure l’empêche de se prévaloir d'un droit au paiement direct auprès du maître d'ouvrage. Le bénéfice du paiement direct est subordonné au respect de la procédure prévue par les dispositions de l’article 8 de la  et de l’article 116 du code des marchés publics (repris au I de l'article 136 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, puis dans le code de la commande publique : Article R2193-11, Article R2193-12, Article R2193-14, Article R2193-15). Faute d’avoir respecté une telle procédure, un sous-traitant ne peut utilement se prévaloir d’un droit au paiement direct).