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CRC PDL, 2025, CREHA Ouest - Marchés informatiques sans mise en concurrence.

CRC PDL, 25 septembre 2025, CREHA Ouest - Marchés informatiques sans mise en concurrence et manquements

Dans son rapport d’observations définitives, la CRC des Pays de la Loire a constaté que l’association CREHA Ouest, qualifiée de pouvoir adjudicateur au sens du 2° de l’article L1211-1 du CCP, avait attribué des marchés d'informatique sans mise en concurrence valable. Ces pratiques violaient l’article R2122-3 du CCP, puisque l’association n’avait pas démontré l’absence de solution alternative, comme l’exige la CJUE (CJCE, 15 octobre 2009, RFA, Aff C-275/08). La Chambre a notamment pointé du doigt des clauses restrictives dans le cahier des charges de 2019, qui avaient entravé la concurrence en imposant aux candidats de négocier avec l’éditeur en place.

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/association-creha-ouest-loire-atlantique

La Chambre régionale des comptes (CRC) constate que l’association CREHA Ouest, soumise au code de la commande publique en tant que pouvoir adjudicateur, concentre ses achats sur des prestations informatiques liées à son logiciel de gestion de la demande locative sociale, sans mise en concurrence suffisante. Les marchés passés avec l’éditeur historique, titulaire des droits de propriété intellectuelle, ne sont pas justifiés par l’absence de solutions alternatives, l’association n’ayant ni formalisé ses besoins ni consulté d’autres éditeurs, malgré l’ancienneté du logiciel et l’existence d’autres solutions sur le marché. Même si une mise en concurrence a été tentée pour l’hébergement en 2019, des clauses restrictives et un calendrier inadapté ont limité son efficacité, empêchant toute offre concurrente. Les achats de licences complémentaires, réalisés bien au-delà du délai légal de trois ans, ainsi que le futur marché SaaS en cours de négociation, soulèvent également des irrégularités, notamment l’absence d’allotissement et de procédure concurrentielle. Enfin, la Chambre recommande d’étudier activement des solutions de remplacement et de rétablir une mise en concurrence conforme, tout en renforçant le contrôle interne et la formalisation des procédures.

Les manquements auxquels la CRC reproche à l'association CREHA Ouest sont :

  • Le non-respect des obligations liées à la qualification de pouvoir adjudicateur (article L1211-1 (2°) du Code de la commande publique)
  • La mise en concurrence insuffisante pour les prestations support et développements (article R2122-3 du CCP)
  • L’atteinte à la transparence et à l’égalité d’accès (Clauses restrictives, absence d’allotissement, article L3 du CCP)
  • Les achats complémentaires au-delà du délai légal de trois ans (article R2123-4 du CCP)
  • L’absence d’allotissement pour le projet SaaS (article R2122-8 du CCP)

Contexte

L'Association CREHA Ouest assure depuis 1998 la gestion et l'animation du fichier départemental de la demande locative sociale en Loire-Atlantique. Dans le cadre de cette mission d'intérêt général, l'association a développé une relation de longue durée avec un éditeur de logiciels pour la gestion de son système d'information. Cette situation a conduit la Chambre régionale des comptes (CRC) des Pays de la Loire à examiner la régularité des pratiques d'achat de l'association au regard du code de la commande publique.

Le rapport d'observations définitives, pointe plusieurs manquements dans l'application des règles de la commande publique. Ces observations sont à rapprocher d'un contexte lié à la récente jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui, par son arrêt du 9 janvier 2025 dans l'affaire Česká republika (C-578/23), a renforcé les exigences pesant sur les pouvoirs adjudicateurs souhaitant invoquer des droits d'exclusivité pour justifier l'absence de mise en concurrence.

Manquements reprochés par la CRC

Le non-respect des obligations liées à la qualification de pouvoir adjudicateur (article L1211-1, 2° CCP)

L'association CREHA Ouest, personne morale de droit privé d'intérêt général majoritairement financée et contrôlée par des pouvoirs adjudicateurs, constitue un pouvoir adjudicateur tenu de respecter l'intégralité du code de la commande publique.

Or, selon la CRC, elle a régulièrement méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence pour l'essentiel de ses achats informatiques (6,6 M€ sur 2019-2024), créant une situation d'achat direct contraire aux principes fondamentaux de la commande publique.

La mise en concurrence insuffisante pour les prestations support et développements (article R2122-3 CCP)

L'association invoque l'exception pour droits d'exclusivité sans remplir les trois conditions cumulatives.

Ce point révèle un problème récurrent dans les marchés publics d'informatique qui est l’invocation des droits d’exclusivité. Ici, CREHA Ouest a non seulement échoué à démontrer l’absence d’alternatives, mais a aussi entretenu une dépendance qui a rendu toute concurrence impossible. Un cercle vicieux qui illustre l’importance de réévaluer régulièrement les partenariats technologiques.

Selon les constats de la CRC, si l'éditeur de l’application détient la propriété intellectuelle, selon la CRC, l'association n'a démontré ni l'absence de solution alternative (pas d’étude de marché ni de consultation d'autres éditeurs), ni la non-imputabilité de l'exclusivité qu'elle a elle-même créée en 1998 et entretenue pendant vingt-cinq ans. La jurisprudence Česká republika (CJUE, 9 janvier 2025, C-578/23) exige pourtant que l'acheteur prouve avoir pris toutes les mesures raisonnables pour éviter cette situation d'exclusivité.

Cette situation est classique dans les marchés informatiques, où les acheteurs publics sont soumis à une dépendance importante envers leurs prestataires, notamment via la maintenance des applications critiques.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation :

  • D’abord, les logiciels métiers, comme celui de CREHA Ouest, sont souvent conçus sur mesure pour des besoins très spécifiques. Remplacer un tel outil après 25 ans d’utilisation représente une difficulté technique et financière : coûts de migration, risques de perturbation des services, et résistance au changement des équipes internes. La remise en concurrence, bien que légale, devient alors un parcours du combattant.
  • Ensuite, les procédures de mise en concurrence sont longues et coûteuses. Pour une structure comme CREHA Ouest, dont les ressources sont limitées, ces contraintes rendent la conformité au CCP difficile à mettre en œuvre, malgré la bonne volonté des intervenants.
  • Enfin, le CCP exige la concurrence, mais les réalités opérationnelles (dépendance technologique, coûts de migration) la rendent très difficile sans une planification rigoureuse dès l’origine. D’où l’importance de solutions comme l’allotissement ou les clauses de réversibilité, trop souvent négligées en amont.

Ce cercle vicieux explique pourquoi de nombreux acheteurs publics, malgré les risques juridiques, préfèrent maintenir le statu quo plutôt que de s’engager dans une remise en concurrence incertaine.

L'atteinte à la transparence et à l'égalité d'accès (Clauses restrictives, article L3 CCP)

Le marché d'hébergement de 2019, bien que formellement mis en concurrence, contenait une clause imposant aux candidats de négocier un accord de responsabilité avec l'éditeur actuel, leur principal concurrent, créant une barrière à l'entrée disproportionnée.

Cette exigence, combinée à un calendrier peu propice, a conduit à l'absence de toute offre concurrente, méconnaissant les principes de liberté d'accès et d'égalité de traitement garantis par l'article L3 du CCP.

Les achats complémentaires au-delà du délai légal de trois ans (article R2123-4 CCP)

L'article R2123-4 du CCP autorise les achats complémentaires uniquement sur une période maximale de trois ans à compter du marché initial.

Or, l'association a réalisé des achats de licences complémentaires en 2014, 2021 et 2022, soit respectivement seize, vingt-trois et vingt-quatre ans après l'acquisition initiale de 1998, en méconnaissance de cette disposition.

L'absence d'allotissement pour le projet SaaS (article R2122-8 CCP)

Le marché SaaS envisagé regroupe dans un lot unique les prestations de support, d'hébergement et de licence logicielle, alors que ces prestations sont en principe techniquement dissociables.

L'article R2122-8 du CCP impose la division en lots sauf justification pertinente de l'acheteur qui n'a pas été apportée en l'espèce.

Cette absence d'allotissement exclut les opérateurs spécialisés dans une seule de ces prestations et empêche toute mise en concurrence future de l'hébergement, restreignant ainsi à l'accès à la commande publique.

[…]

3.2.3 Une absence de mise en concurrence insuffisamment justifiée

3.2.3.1 Les prestations support et développements

Les prestations support et développements commandées à l’éditeur du logiciel de gestion du FDLS (cf. Annexe n° 2) ne font l’objet d’aucune publicité ni mise en concurrence sans justification suffisante au regard de l’article R. 2122-3 du CCP. En effet cet article permet le recours au marché sans publicité ni mise en concurrence lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

- il existe des droits d'exclusivité, notamment des droits de propriété intellectuelle ;

- il n'existe aucune solution de remplacement raisonnable ;

- l'absence de concurrence ne résulte pas d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché.

Concernant le 1er point : l’existence de droit d’exclusivité concernant le logiciel n’est pas contestée par la chambre.

Concernant le 2ème point : il appartient à l’acheteur de démontrer l’absence de solution raisonnable conformément à l’article R. 2122-3 du CCP et à la jurisprudence. Or l’association se contente d’affirmer l’absence de solution de remplacement raisonnable sans pour autant la démontrer. CREHA Ouest n’a justifié d’aucune formalisation de ses besoins ni de consultation des éditeurs qui aurait permis d’établir les coûts et les délais de développement nécessaires pour y répondre. Si le juge a déjà admis la passation sans mise en concurrence d’un marché de maintenance d’un logiciel acquis récemment, compte tenu de droits d’exclusivité, cette jurisprudence ne saurait s’appliquer dans le cas présent compte tenu du caractère ancien du logiciel acquis par CREHA Ouest et de l’existence d’autres éditeurs de solutions logicielles pour la gestion de la demande locative sociale.

Concernant le 3ème point : les restrictions relatives aux droits d’exclusivité de l’éditeur doivent bien être considérées comme imputables à l’acheteur et ne peuvent donc pas justifier une absence de mise en concurrence. CREHA Ouest a en effet accepté en 1998 le contrat d’apport en jouissance du logiciel acquis par son fondateur et a depuis, bien au-delà de la durée d’amortissement habituelle d’une licence, financé des évolutions qui n’étaient ni sous licence libre ni sa propriété, au risque de creuser l’écart entre la solution retenue et la concurrence.

Dès lors, l’article R. 2122-3 du CCP ne peut être invoqué pour justifier l’absence de mise en concurrence des prestations informatiques commandées auprès de l’éditeur du logiciel de gestion du FDLS.

3.2.3.2 Les prestations d’hébergement

Les prestations d’hébergement, également confiées à l’éditeur du logiciel (cf. Annexe n° 2), ont, elles, fait l’objet d’une mise en concurrence en 2019. Certaines clauses du cahier des charges étaient cependant susceptibles de restreindre la concurrence puisqu’il revenait aux candidats de négocier un accord de responsabilité (pour les phases de transfert initial puis d’exploitation) avec l’éditeur actuel, c’est à dire leur principal concurrent. Cette condition a pu constituer un sérieux obstacle à l’établissement d’une offre. Le calendrier de la consultation, en plein été, était également peu propice à une mise en concurrence efficace. De fait, aucune offre concurrente n’a été reçue.

3.2.3.3 Les prestations de licences complémentaires

Des licences « utilisateur » complémentaires ont été achetées en cours de période de contrôle (cf. annexe n° 2). Or, si l’article R. 2123-4 du CCP permet des achats complémentaires sur une période maximum de trois ans, ce dernier ne pouvait être invoqué en l’espèce, l’achat initial datant de 1998 et les achats complémentaires de 2014, 2021 et 2022.

3.2.3.4 Le marché à venir

Un marché était, lors de l’instruction, en cours de négociation avec l’éditeur pour une prestation en mode SaaS (« solution as a service ») regroupant les services support, l’hébergement et la licence sous forme d’abonnement annuel (cf. annexe n° 2). L’absence de mise en concurrence apparaît là encore insuffisamment justifiée, tout comme l’absence d’allotissement de ces prestations qui impliquerait par ailleurs l’absence de mise en concurrence des prestations d’hébergement. Même si cette solution peut apparaître comme privilégiée par les éditeurs, le président de l’association n’a pas fait la démonstration que la mise en concurrence par lot était inefficace en l’espèce.

[…]

MAJ 24/12/25

Actualités

Un certificat d’exclusivité n’est pas suffisant pour justifier la passation d’un marché public sans mise en concurrence préalable. Contrôle des procédures d’achat de l’Ecole Centrale de Marseille (ECM) - 16 juillet 2023.

Marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence et certificat d’exclusivité. (CAA Paris, 11 décembre 2018, n° 17PA01588, Société Steam France) - 29 décembre 2018.

QE AN n° 32663 du 15 octobre 2013 - Procédures sans publicité ni mise en concurrence préalable - Distinction entre procédure négociée visée par l'article 35-II 8° du code des marchés publics et les marchés à procédure adaptée de l'article 28-II du code des marchés publics - 23 octobre 2013

Jurisprudence

CJUE, 9 janvier 2025, aff. C-578/23, Česká republika – Generální finanční ředitelství contre Úřad pro ochranu hospodářské soutěže - (Droits d'exclusivité. Procédure négociée et contrôle de l'imputabilité. La CJUE précise que le recours à la procédure négociée sans publicité pour droits d'exclusivité n'est possible que si la situation d'exclusivité n'est pas imputable au pouvoir adjudicateur, cette imputabilité s'appréciant tant lors de la conclusion du contrat initial que pendant la période précédant le choix de la procédure. « Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 31, point 1, sous b) – Procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché – Conditions – Raisons techniques – Raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité – Imputabilité au pouvoir adjudicateur – Circonstances de fait et de droit à prendre en considération »).

CAA Lyon, 6 Juillet 2023, n° 21LY01478 (Pas de marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence fondé sur la protection de droits d'exclusivité dès lors qu'existe une concurrence pour les besoins à satisfaire).

CJCE, 15 octobre 2009, République fédérale d'Allemagne, Aff C-275/08 (La CJUE a jugé que le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché ne saurait être justifié, en invoquant la spécificité technique d’un logiciel utilisé dans l’administration nationale, constituant l’objet du marché de fourniture, en l’absence d’éléments établissant que des recherches sérieuses ont été menées en vue d’identifier des opérateurs, différents du fournisseur auquel le marché a été attribué, qui sont susceptibles de présenter un logiciel adapté, points 57 à 64).