

TA Paris, 27 juillet 2025, n° 2505123, Société Foch Partners - Fichiers corrompus
Un fichier corrompu dans l'offre entraîne son rejet légitime même en l'absence de dysfonctionnement avéré de la plateforme de dématérialisation. Répondre aux marchés publics avec des fichiers zip : à éviter. Contrat de concession de travaux.
Un acheteur peut légitimement rejeter une offre incomplète en raison d'un fichier corrompu, dès lors que le soumissionnaire ne démontre pas de façon probante que cette corruption résulte d'un dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation. La charge de la preuve du bon fonctionnement du fichier au moment de son dépôt incombe au candidat évincé.
Résumé
La Ville de Paris avait lancé le 11 décembre 2023 une procédure de concession de travaux portant sur la rénovation et l'exploitation de l'établissement dénommé "Le Pavillon Royal". La société Foch Partners, constituée en groupement, avait déposé son offre finale le 27 janvier 2025 via la plateforme Maximilien. Le 17 juin 2025, la Ville de Paris l'informait que son offre était irrégulière car incomplète, un fichier essentiel comme le mémoire technique intitulé "Mémoire 4 novembre exploitation" étant endommagé et ne pouvant être ouvert.
Cette décision s'inscrit dans un contexte de généralisation de la dématérialisation des procédures de commande publique, source croissante de contentieux liés aux difficultés techniques. Elle illustre les enjeux probatoires complexes que soulève la corruption de fichiers dans les offres électroniques.
Le principe de rejet des offres irrégulières
Aux termes de l'article L3124-2 du code de la commande publique, "l'autorité concédante écarte les offres irrégulières ou inappropriées". L'article L3124-3 précise qu'une offre est irrégulière "lorsqu'elle ne respecte pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation".
Cette obligation de rejet des offres irrégulières constitue un principe fondamental du droit de la commande publique, garant de l'égalité de traitement entre les candidats. Elle ne souffre d'exception que dans des cas très limités, notamment lorsque l'irrégularité est purement formelle et dénuée de toute portée sur l'appréciation des offres.
En l'espèce, le fichier "Mémoire 4 novembre exploitation" devait permettre l'appréciation du critère n°3 relatif à la qualité du projet d'exploitation. Son absence rendait l'offre incomplète au regard des exigences de la consultation, justifiant son rejet sur le fondement des dispositions précitées.
La charge de la preuve en cas de fichier corrompu
La société Foch Partners soutenait que l'impossibilité d'ouvrir le fichier résultait d'un dysfonctionnement du profil acheteur ou d'une mauvaise manipulation par la Ville de Paris lors du renommage du fichier. Elle produisait à l'appui de ses prétentions deux attestations de commissaires de justice du 26 juin 2025.
Le tribunal rejette cette argumentation en relevant que "la première attestation de justice atteste seulement de l'ouverture d'un fichier du même nom compris dans un dossier stocké en 'local' dans un ordinateur de bureau et la deuxième, réalisée sur la plateforme Maximilien, n'atteste pas de l'ouverture du fichier en cause". Cette analyse illustre la manière avec laquelle le juge apprécie les éléments de preuve dans ce type de contentieux technique.
La décision établit que la charge de la preuve du bon fonctionnement du fichier au moment de son dépôt incombe au candidat évincé. Celui-ci ne peut se contenter d'attestations portant sur des fichiers différents ou stockés localement. Il doit démontrer de façon probante que le fichier déposé sur la plateforme était effectivement fonctionnel et que sa corruption résulte d'un dysfonctionnement technique imputable à l'acheteur.
L'appréciation des dysfonctionnements de plateforme
Le tribunal constate qu'il "ressort des pièces soumises au juge des référés que le problème technique générant cette impossibilité d'ouvrir le fichier de l'offre n'a pas pour origine un dysfonctionnement de la plateforme Maximilien". Cette appréciation s'appuie sur l'attestation du commissaire de justice mandaté par la Ville de Paris le 3 juillet 2025, qui montrait un message "erreur de donnée" à l'ouverture du fichier.
Cette approche témoigne d'une évolution de la jurisprudence administrative face aux contentieux liés à la dématérialisation. Le juge procède à une analyse technique approfondie des dysfonctionnements allégués, s'appuyant sur des expertises contradictoires pour établir la réalité des faits.
La solution retenue impose aux soumissionnaires une obligation de vigilance accrue dans la préparation et le dépôt de leurs offres électroniques.
Les enseignements sur la dématérialisation
Cette décision met en évidence les problèmes spécifiques posés par la dématérialisation des procédures de commande publique. Elle rappelle que la responsabilité du bon fonctionnement des fichiers transmis incombe en premier lieu aux soumissionnaires, qui doivent s'assurer de leur intégrité avant dépôt.
La multiplication des procédures dématérialisées impose aux opérateurs économiques d'adapter leurs pratiques et de mettre en place des procédures de contrôle qualité renforcées. La possibilité de déposer une copie de sauvegarde, mentionnée dans la décision mais non utilisée par la société requérante, constitue une garantie potentielle que les candidats ne sauraient négliger.
Conseils aux entreprises
Les entreprises doivent impérativement vérifier l'intégrité de leurs fichiers avant et après dépôt sur les plateformes de dématérialisation. Il convient de tester l'ouverture de tous les documents? si possible ce qui n'est pas évident, depuis la plateforme elle-même et de conserver une trace de ces vérifications.
La constitution de copies de sauvegarde est recommandée en tous cas pour les marchés les plus importants. Cette précaution permet d'éviter les rejets pour incomplétude en cas de problème technique.
Il est fortement recommandé de déposer les offres suffisamment en amont de l'échéance pour pouvoir identifier et corriger d'éventuels problèmes techniques. La proximité de la date limite ne doit pas conduire à négliger les vérifications de conformité technique. Répondre le dernier jour est la principale source d'échecs pour la transmission électronique des plis.
En cas de difficulté technique avérée, les entreprises doivent rassembler immédiatement les éléments de preuve spécifiquement sur les fichiers effectivement déposés sur la plateforme, et non sur des copies locales.
Texte
[…]
1. Par un avis de concession, la Ville de Paris a lancé, le 11 décembre 2023, une procédure de concession de travaux portant sur la rénovation et l'exploitation de l'établissement dénommé " Le Pavillon Royal ". La société Foch Partners, en groupement, a déposé une offre finale le 27 janvier 2025. Elle n'a pas transmis de copie de sauvegarde comme elle en avait la possibilité. Par un courrier du 17 juin 2025, la Ville de Paris a informé la société Foch Partners que son offre finale était irrégulière car incomplète, le fichier " Mémoire 4 novembre exploitation ", qui devait permettre l'appréciation du critère n°3 relatif à la qualité du projet d'exploitation, étant endommagé et ne pouvant être ouvert. Suite à une demande de la société, la Ville de Paris a fourni des captures d'écran de messages d'erreur affichés à l'ouverture du fichier et le fichier corrompu, dans une version renommée par la Ville de Paris " Mémoire 4 ". La société Foch Partners demande à ce que soit annulée, au stade de l'analyse des offres, la procédure de passation, ensemble la décision de rejet de son offre et que soit reprise la procédure au stade de l'analyse des offres.
[…]
5. L'article 7 du règlement de la consultation de la concession dispose que : " 7. Délais et modalités de remise des candidatures et des offres / S'agissant d'une procédure ouverte, chacun des soumissionnaires doit présenter son offre selon les conditions suivantes : / Le dossier contenant la totalité des pièces exigées et décrites à l'article II du présent règlement de consultation sera envoyé par voie électronique via la plateforme https://marches.maximilien.fr. ".
6. La société requérante soutient que le fichier dénommé " Mémoire 4 novembre exploitation " intégré dans le sous-dossier " Mémoire n°-MAJ " du dossier compressé intitulé " Janvier 2025 ", n'était pas endommagé au moment de son dépôt et que l'impossibilité rencontrée par la Ville à ouvrir le fichier ne peut qu'être imputable à un dysfonctionnement du profil d'acheteur, la plateforme Maximilien, ou à une mauvaise manipulation par la Ville lorsqu'elle a procédé au renommage du fichier. La société requérante se prévaut pour ce faire de deux attestations de commissaires de justice du 26 juin 2025. Toutefois, la première attestation de justice atteste seulement de l'ouverture d'un fichier du même nom compris dans un dossier stocké en " local " dans un ordinateur de bureau et la deuxième, réalisée sur la plateforme Maximilien, n'atteste pas de l'ouverture du fichier en cause. Ainsi, ni ces deux attestations, ni le courrier du 15 juillet 2025 de la société Factoria 2.0 adressé à Caneva, qui ne nomme pas les fichiers ni la procédure de passation concernée, ne permettent pas de remettre en cause l'attestation du commissaire de justice mandaté par la Ville de Paris, faite le 3 juillet 2025, à partir du dossier compressé de l'offre déposée par la société requérante sur la plateforme Maximilien, montrant un message " erreur de donnée " à l'ouverture du fichier et l'impossibilité en résultant de l'ouvrir. Il ressort en outre des pièces soumises au juge des référés que le problème technique générant cette impossibilité d'ouvrir le fichier de l'offre n'a pas pour origine un dysfonctionnement de la plateforme Maximilien. Par suite, la Ville de Paris n'a commis aucun manquement en rejetant comme irrégulière car incomplète, l'offre de la société requérante.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation et en injonction de la société Foch Partners doivent être rejetées.
[…]
MAJ 30/07/25
Jurisprudence
TA Montpellier, 29 octobre 2024, n° 2405722 (Une offre dont le mémoire technique zippé est inexploitable n’est pas régularisable. Conditions de rejet d'une offre pour fichier ZIP corrompu. Analyse des articles L2152-2 et R2152-2 du code de la commande publique et de la responsabilité du candidat. En matière d'offres irrégulières, le juge des référés rappelle le cadre juridique posé par l'article L2152-2 du code de la commande publique : une offre est irrégulière lorsqu'elle ne respecte pas les exigences des documents de consultation ou qu'elle est incomplète. Si l'article R2152-2 permet une régularisation, celle-ci ne doit pas modifier les caractéristiques substantielles de l'offre. En l'espèce, le rejet d'une offre dont le mémoire technique dans un fichier ZIP était techniquement inaccessible est justifié, cette situation n'étant imputable ni à l'acheteur ni à la plateforme de dématérialisation, et une régularisation risquant de modifier substantiellement l'offre. Si le marché était important, la transmission d'une copie de sauvegarde aurait probablement pu sauver l'offre).
CE, n° 449250, 23 septembre 2021, RATP, Mentionné dans les tables du recueil Lebon (Le Conseil d’État modère la règle posée par l'article R2151-5 du code de la commande publique selon laquelle les offres reçues hors délai sont éliminées. Si le problème technique n'est imputable ni au dysfonctionnement de l'équipement informatique du candidat, ni à une faute ou une négligence de sa part dans le téléchargement des documents constituant son offre il appartient à l'acheteur public d'établir le bon fonctionnement de sa plateforme de dépôt. "Si l'article R2151-5 du code de la commande publique prévoit que les offres reçues hors délai sont éliminées, l'acheteur public ne saurait toutefois rejeter une offre remise par voie électronique comme tardive lorsque le soumissionnaire, qui n'a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l'article R2132-9 du même code, établit, d'une part, qu'il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d'un candidat pour le téléchargement de son offre et, d'autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal").
CE, 4 mars 2011, n° 344197, Région REUNION (Caractère irrégulier de l'offre en raison de l’absence du mémoire technique nécessaire au jugement de la valeur technique de l’offre requis par le règlement de la consultation).
Actualités
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