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Le tribunal précise les conditions dans lesquelles un acheteur peut rejeter une offre dématérialisée comme tardive. Lorsque l'impossibilité de déposer l'offre dans les délais résulte d'une contrainte technique de la plateforme non mentionnée dans les documents de la consultation, l'éviction du candidat ayant accompli les diligences normales constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Fichiers envoyés par un candidat d'une taille de 1323 Mo dépassaient la taille de 1 Go, acceptée sur la plateforme.
Résumé
L'Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS-APHP) avait lancé un appel d'offres pour la fourniture de dispositifs médicaux implantables de chirurgie cranio-maxillo-faciale, divisé en 19 lots. La société Orthopédie Biomeca Locomotion souhaitait candidater sur l'ensemble des lots et s'était connectée le 2 avril 2025 à 9h20 sur la plateforme PLACE pour déposer son offre avant la limite de 16h. Malgré plusieurs tentatives infructueuses, elle n'était pas parvenue à finaliser le dépôt et avait transmis son offre par WeTransfer à 17h36. L'AGEPS-APHP avait alors rejeté cette offre au motif qu'elle était hors délai et déposée par un canal non autorisé.
Le tribunal administratif de Paris, saisi en référé précontractuel, était appelé à trancher une question délicate :
Dans quelle mesure les contraintes techniques d'une plateforme de dépôt électronique peuvent-elles justifier l'éviction d'un candidat qui a tenté en vain de déposer son offre dans les délais ?
Selon l'article R2151-5 du code de la commande publique, « les offres reçues hors délai sont éliminées ». Cette règle vise à garantir l'égalité de traitement entre les candidats et la concurrence. Elle s'applique strictement aux procédures dématérialisées, d'autant plus que l'article R2132-7 du même code impose que « les communications et les échanges d'informations lors de la passation d'un marché (…) ont lieu par voie électronique ».
Cependant, la jurisprudence administrative a progressivement établi de la modération à cette règle lorsque l'impossibilité de déposer l'offre dans les délais ne résulte pas d'une négligence du candidat. Le tribunal rappelle ainsi que « l'acheteur public ne saurait rejeter une offre remise par voie électronique comme tardive lorsque le soumissionnaire, qui n'a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l'article R2132-9 du même code, établit, d'une part, qu'il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d'un candidat pour le téléchargement de son offre et, d'autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal » (CE, n° 449250, 23 septembre 2021, RATP).
Cette jurisprudence s'inscrit dans une logique de protection des candidats face aux aléas techniques inhérents à la dématérialisation, tout en préservant les exigences de régularité de la procédure.
En l'espèce, l'analyse du tribunal se concentre sur deux aspects complémentaires :
S'agissant des diligences, le tribunal constate que la société s'était connectée « en temps utile à 9h20 pour envoyer son offre électroniquement et a effectué au moins une tentative d'envoi infructueuse à 13h13, soit bien avant 16h ». Les éléments du dossier indiquent même qu'elle avait procédé « à un très grand nombre d'opérations entre 9h20 et 16h24, avec 3 784 ajouts de pièces », témoignant d'une démarche persévérante et méthodique.
Par ailleurs, le tribunal établit que « les fichiers envoyés par C d'une taille de 1323 Mo dépassaient la taille de 1 Go, acceptée sur la plateforme », contrainte technique que reconnaît d'ailleurs l'AP-HP elle-même. Cette limite de volumétrie constitue l'élément déterminant de l'analyse, d'autant qu'elle concernait une candidature portant sur l'ensemble des 19 lots, comme l'autorisait explicitement le règlement de la consultation.
L'aspect le plus intéressant de cette décision réside dans l'exigence d'information complète des candidats sur les contraintes techniques de la plateforme. Le tribunal souligne que « les documents de la consultation, et en particulier le III du règlement de la consultation relatif aux délai et modalités de remise des candidatures et des offres, ne fait aucune mention de la taille des fichiers requis et qu'il en est de même du guide d'utilisation de la plateforme PLACE, dont le lien figure dans le règlement de la consultation ».
Ce manque d''information revêt une importance déterminante car elle place les candidats dans l'impossibilité d'anticiper les contraintes techniques. Le tribunal relève d'ailleurs que la société « n'a reçu aucun message de refus de fichier lui signalant que le poids du fichier était supérieur à celui autorisé sur la plateforme (1 Go), comme cela aurait dû être le cas selon une information figurant seulement dans la foire aux questions (FAQ) de la plateforme PLACE ».
Cette analyse témoigne de l'exigeance des obligations d'information de l'acheteur, qui ne peut se contenter de renvoyer à des informations techniques dispersées ou peu accessibles. L'obligation de transparence impose une information claire et complète dans les documents de consultation eux-mêmes.
Il en résulte que les acheteurs ont
intérêt à diffuser une information la plus
exhaustive possible sur les contraintes techniques
liées à leurs plateformes dans leur
règlement de la consultation.
Il est à craindre que
le simple renvoi à des informations figurant sur les profils
d'acheteur ne suffise pas.
L'AP-HP avait tenté de justifier sa position en invoquant plusieurs alternatives qui auraient été ouvertes à la société candidat. Ces arguments sont écartés par le tribunal dans une démonstration particulièrement intéressante.
Le tribunal « enjoint à l'AP-HP de suspendre la décision du 7 avril 2025 de rejet de l'analyse de l'offre » et précise que « si l'AP-HP entend poursuivre la procédure de passation du marché, il y aura lieu de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres en intégrant l'offre de la société Orthopédie Biomeca Locomotion ».
Cette solution préserve les droits du candidat évincé tout en respectant l'économie générale de la procédure.
Texte
[...]
5. Si l'article R. 2151-5 du code de la commande publique prévoit que les offres reçues hors délai sont éliminées, l'acheteur public ne saurait toutefois rejeter une offre remise par voie électronique comme tardive lorsque le soumissionnaire, qui n'a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l'article R. 2132-9 du même code, établit, d'une part, qu'il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d'un candidat pour le téléchargement de son offre et, d'autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal.
6. La société Orthopédie Biomeca Locomotion, connue sous le nom commercial C soutient s'être connectée sur la plateforme PLACE le 2 avril 2025 à 9h20 pour commencer le téléchargement de son offre, achevé à 13h13, mais dont la validation n'a pas pu aboutir et avoir ensuite effectué une seconde tentative entre 13h13 et 16h, heure limite fixée par l'acheteur, qui s'est révélée également infructueuse. La société a envoyé son offre par We Tranfer à 17h36. Le responsable des marchés de la cellule des achats de l'AP-HP admet cependant, dans un courriel du 9 avril 2025, que la société a bien effectué plusieurs tentatives de dépôt dans le délai imparti. Dans un courrier du 25 juin 2025, le directeur de l'agence pour l'informatique financière de l'Etat a indiqué qu'aucun dysfonctionnement de la plateforme PLACE n'a été constatée le 2 avril précédent entre 13h et 16h24. Il précise également que l'entreprise C a procédé à un très grand nombre d'opérations entre 9h20 et 16h24, avec 3 784 ajouts de pièces, la dernière tentative de téléchargement ayant eu lieu à 16h24, soit 24 minutes après l'heure fixée pour déposer une offre. Il ressort par ailleurs des différentes explications fournies par la société Orthopédie Biomeca Locomotion connue sous le nom de C que son équipement informatique était normal. Ainsi, le 2 avril 2025, l'équipement informatique de la société soumissionnaire était normal et la plateforme PLACE, où d'autres candidats ont par ailleurs pu déposer leur offre, ne présentait pas de dysfonctionnement.
7. Toutefois, les fichiers envoyés par C d'une taille de 1323 Mo dépassaient la taille de 1 Go, acceptée sur la plateforme, ainsi que le reconnaît elle-même l'AP-HP, la société ayant candidaté sur les 19 lots, comme le règlement de la consultation l'y autorisait. La société requérante fait valoir à juste titre que les documents de la consultation, et en particulier le III du règlement de la consultation relatif aux délai et modalités de remise des candidatures et des offres, ne fait aucune mention de la taille des fichiers requis et qu'il en est de même du guide d'utilisation de la plateforme PLACE, dont le lien figure dans le règlement de la consultation. En outre, elle indique qu'elle n'a reçu aucun message de refus de fichier lui signalant que le poids du fichier était supérieur à celui autorisé sur la plateforme (1 Go), comme cela aurait dû être le cas selon une information figurant seulement dans la foire aux questions (FAQ ; frequently asked questions) de la plateforme PLACE.
8. Si l'AP-HP fait valoir qu'il incombait au soumissionnaire de faire un test d'envoi, il n'est pas établi qu'un tel test aurait pu permettre de détecter que le fichier final serait trop volumineux. Ensuite, dès lors que les offres déposées par les autres candidats dans le délai imparti étaient toutes d'une taille nettement inférieure à 1 Go, leur bonne réception sur la plateforme PLACE n'est pas de nature à établir que les difficultés invoquées par la société requérante lui seraient imputables. En outre, la société s'est connectée en temps utile à 9h20 pour envoyer son offre électroniquement et a effectué au moins une tentative d'envoi infructueuse à 13h13, soit bien avant 16h. L'AP-HP ne peut sérieusement soutenir que la société pouvait effectuer un envoi en deux fois, comportant d'abord les documents essentiels puis les documents complémentaires. Par ailleurs, elle ne saurait reprocher à la société soumissionnaire de ne pas lui avoir transmis une copie de sauvegarde sous format papier ou électronique (clé USB), dès lors, d'une part, que cette possibilité est réservée aux candidats ayant effectivement envoyé un dossier électronique, et d'autre part, qu'il s'agit en tout état de cause d'une simple faculté ouverte aux candidats et soumissionnaires en application de l'article R. 2132-11 du code de la commande publique, faculté rappelée à l'article III.B.1 du règlement de la consultation relatif aux modalités de remise des candidatures et des offres, l'absence d'un tel dépôt n'étant pas à elle seule de nature à établir l'existence d'une négligence de la société. Enfin, l'AP-HP ne saurait reprocher à la société de ne pas s'être manifestée avant 16h en faisant part de ses difficultés d'envoi, dès lors qu'il n'est pas contesté que lorsqu'elle a tenté une deuxième fois d'envoyer son offre, elle ignorait la raison de l'échec de la première tentative. Dans ces conditions, la société doit être regardée comme ayant accompli en temps utile les diligences normales attendues pour le téléchargement de son offre.
9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre à l'AP-HP de suspendre la décision du 7 avril 2025 de rejet de l'analyse de l'offre de la société Orthopédie Biomeca Locomotion, connue sous le nom commercial C pour le marché relatif à la fourniture de dispositifs médicaux implantables de chirurgie cranio-maxillo-faciale et des prestations associées. Si l'AP-HP entend poursuivre la procédure de passation du marché, il y aura lieu de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres en intégrant l'offre de la société Orthopédie Biomeca Locomotion, connue sous le nom commercial C.
[...]
Actualités
Dysfonctionnement de la plateforme et offre hors délai [offre hors délai]. - 30 septembre 2021.
Réponse électronique déposée hors délai et lien hypertexte défectueux alors qu’un autre lien est fonctionnel dans le règlement de la consultation. - 15 juin 2022.
Jurisprudence
TA Paris, 27 juillet 2025, n° 2505123, Société Foch Partners (Contrat de concession de travaux. Fichiers corrompus. Un acheteur peut légitimement rejeter une offre incomplète en raison d'un fichier corrompu, dès lors que le soumissionnaire ne démontre pas de façon probante que cette corruption résulte d'un dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation. La charge de la preuve du bon fonctionnement du fichier au moment de son dépôt incombe au candidat évincé).
TA Orléans, 9 août 2022, n° 2202408 (Précisions sur les délais de remise des offres dans les marchés publics et les conditions de rejet des offres dématérialisées hors délai. Le tribunal administratif rappelle la marge d'appréciation de l'acheteur public pour fixer les délais en fonction de la complexité du marché. Le juge pose également les critères permettant d'écarter une offre électronique tardive, à savoir l'absence de diligences normales du candidat et l'absence de dysfonctionnement de la plateforme dématérialisée).
CE, 17 octobre 2016, n° 400791, Ministre de la Défense, Mentionné aux tables du recueil Lebon (L’offre d’un candidat ne peut être déclarée irrégulière s’il a respecté la procédure prévue pour le dépôt sur une plateforme de dématérialisation même si le pouvoir adjudicateur ne peut vérifier la signature électronique requise des pièces).
MAJ 15/06/22 - Source Legifrance